Les "ingénieurs des âmes". Savoirs académiques, professionnalisation et pratiques des psychologues du travail de l'entre deux guerres à nos jours.

The dissertation examines the transformations of a profession (industrial psychology) in France, in relation to the vocational guidance policies conducted by the State between 1920 and today. The methodology used includes interviews (N=62), exploitation of professional archives and a quantitative survey conducted among 557 industrial psychologists. Three periods are distinguished in the dynamic of this profession. During the interwar years (1920-1945), public authorities develop a new academic knowledge and promote the diffusion of industrial psychology in schools and industry in order to preserve the health of the population through a better matching of workers to occupations. Demographic concerns explain why industrial psychology is conceived by french scientists and politicians as a counterweight to taylorism. However, the applications of this discipline remain limited during this period because of the hostility of industrials and the costs of the method compared with taylorism. With the economic growth of the post-war period (1945-1970), the profession reaches an apogee and acquires the various attributes of a profession (specialized expertise, education, professional associations). Public authorities appeal to industrial psychologists in order to rationalize the use of laborforce, in a search for higher productivity and economic growth. The last period is characterized by a deprofessionnalization of industrial psychology under the influence of two factors. First, the competing segment of clinical psychology tends to dominate the applications of psychology in its various fields and moves away industrial psychology from its experimental roots. Second, the growth of unemployment and the complexification of matching between workers and occupations requires new forms of public intervention towards the labor market. New categories of professionals enter the field of vocational guidance, competing with industrial psychologists in the assessment of workers.Les transformations de la psychologie du travail en France au cours du vingtième siècle permettent d'analyser deux phénomènes sociologiques importants : la rationalisation d'un champ de la vie sociale (l'orientation professionnelle) qui se voit de plus en plus pénétré de raisonnements psychologiques et la dynamique d'un groupe professionnel, qui a connu une période d'ascension de l'entre-deux guerres aux années 1970 et qui connaît aujourd'hui une profonde crise d'identité. Notre travail articule de façon systématique trois ordres de facteurs dans la dynamique de la profession : l'action publique, les relations avec les autres segments de la psychologie et les facteurs internes au champ scientifique. L'action publique définit en grande partie l'étendue et la nature du mandat assigné à la profession. D'abord voués à la détection des aptitudes individuelles en vue d'une organisation planifiée du marché du travail, les psychologues ont davantage aujourd'hui un rôle de soutien psychologique face au problème du chômage ou dans la gestion des périodes de transition sur le marché du travail. Les relations avec les autres segments de la psychologie sont marquées par un déclin relatif de la psychologie du travail, de plus en plus marginale face aux cliniciens et aux psychologues de l'enfant, qui sont parvenus à transformer l'image de la profession aux yeux du public en l'espace de trois décennies. Enfin, les facteurs internes au champ scientifique font intervenir un déclin du paradigme expérimentaliste dans les applications de la psychologie, sur lequel était assise la méthode des tests, et une influence croissante de la psychanalyse dans la formation des psychologues et les demandes sociales qui leur sont adressées. Nos conclusions sont étayées par le dépouillement systématique d'archives d'associations professionnelles, l'étude des institutions de formation de psychologues du travail, la conduite d'entretiens et l'exploitation statistique d'un questionnaire, diffusé auprès de plus de 2000 psychologues du travail